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Titre du blog : Maroc
Auteur : AbdkMANA
Date de création : 01-05-2010
 
posté le 03-05-2010 à 13:54:58

La Rihla et le Ribab

27.11.2009

La Rihla et le Ribab

La Rihla et le Ribab

Par Abdelkader Mana

 

Dites, honnête homme
Quel sol mes pieds n’ont pas encore foulé ?
Tindouf, Tata, Tiznit, Agadir
Ou le grand marché des chevaux
Des plumes d’autruches
Et des chameaux à Goulimine ?
Raïs el-Haj Belaïd

 

Le voyage comme prétexte, Hâjj Belaïd, le vieux troubadour du Souss, qui errait dans tout le Sud avec son ribab, le savait aussi indispensable pour la poésie : il est la figure emblématique de Tiznit et du Souss.

Pour rencontrer son fils, qui tient chaque soir Halqa aux pieds des remparts, nous avons quitté Taroudant et ses oliveraies pour rejoindre l’autre étoile du Sud, Tiznit, cette ville à dimension humaine où tout semble avoir été dessiné en miniature par un orfèvre de fibules berbères plutôt que par un architecte

 

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Haj Belaid avec son Ribab

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

 

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Allons ! Reprenons la charrue ! Au nom de Dieu !

Attelons la paire de bœufs. La terre familière

Du patrimoine, c'est elle que je cultiverai.

L'ami qui fut mon associé, peut-être

Me laissera-t-il une part de sa prospérité.

Fasse qui veut les jeux du diable,

Agissant sans tête ni cœur !

Amour, Dieu a fixé les liens par le destin.

O soleil de ma vie, ô fleur de juin,

O mon aimée, selon mon cœur et ta semblance.

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

Mon cœur ne requiert plus l'errance,

Si mes pas me mènent encor de çà de là...

C'en est assez !

 

Ce poème fut composé par le raïs l'haj Belaïd, dont la renommée est grande. Originaire des Ida Ou Baâquil, tribu à l'E-S-E. de Tiznit, dans le Sous, il avait une soixantaine d'années en 1933. Sa mort semble être survenue après 1945. A son prestige de poète chleuh, maître d'un grand nombre de trouveurs qui firent leur apprentissage dans sa troupe et qui formèrent par la suite leur propre troupe, il ajoutait le prestige du lettré qui avait étudié à la zaouïa de Sidi Ahmed Ou Moussa (grand marabout de Tazerwalt).

 

Bibliographie : Paulette Galand-Pernet "Recueil de poèmes chleuhs, Chants de trouveurs" Publié par le concours du CNRS aux éditions Klincksieck, Paris, 1972.

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Mokhtar Soussi, l'auteur le plus prestigieux de Sous (1900-1963)

 

Ses ouvrages disponibles uniquement en Arabe constituent une véritable mine d'informations ethnographiques sur le Sous,(Voir à la fin de cette note la présentation de sa vie et de son oeuvre)

 

À l’aube de l’indépendance, Mokhtar Soussi publie les quatre tomes de "À travers les Jazoula". Ce récit de voyage dans son pays natal, le Souss, s’inscrit dans la longue tradition littéraire de la Rihla, genre très prisé par les écrivains nomades arabes depuis le Voyage en Turquie d’Ibn Fadlane en l’an 921, de Ibn Joubaïr le savant andalou (1114-1217), et surtout d'Ibn Battouta, type même du globe-trotter passé maître dans l’art de tenir un journal de route. Parti de Tanger un 13 juin 1325, Ibn Battouta alla jusqu’à la vallée de l’Indus et aux confins de la Russie et de la Chine.

 

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Au cours de sa Rihla du Souss, Mokhtar Soussi consigne dans son carnet de voyage tout ce qu’il voyait :
"J’ai ouvert mes yeux sur les lieux, et mes oreilles sur ce qui se dit. J’ai décidé de visiter Tiznit, Agadir, puis Taroudant et les environs de ces trois villes du Souss."

Trois villes qu’il traversa souvent à dos de mulet, en quête d’anciens manuscrits.

 

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Le defunt Hassan AGLAW et Raissa Kelly
 

À l’intérieur des remparts de Tiznit, la musique berbère scande, dans les échoppes, la vie quotidienne des cordonniers, des menuisiers, des coiffeurs, des commerçants, de tout un peuple de petites gens et de femmes voilées. Tableau insolite chez les photographes et les disquaires de la ville : l’affiche d’une jeune Française de dix-sept ans qui pose en chanteuse berbère et proclame, en prélude à l’un de ses « tubes » :
« Moi, Kelly, de père et de mère français, je suis tombée amoureuse de la chanson berbère ».

 

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Raissa Kelly

 

Au mois de mars, son passage fut une curiosité et son spectacle (elle était accompagnée du ribab du Raïs Aglaou) un franc succès. Une émigration en sens inverse, à la rencontre de l’autre rive et de l’autre vent.

 

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Par un heureux hasard, le poète même de Tiznit, Ouakhzan Ben Mohamed Sahili, est venu vers nous. Au milieu des palmiers et des chants de coq, non loin de la fameuse source bleue, il nous tint tout un discours de ferveur dans la kasbah du soleil et nous traduisit séance tenante de longs poèmes sur l’émigration du Souss.
L’un des plus anciens poèmes sur l’émigration est la Qasida de Paris, composée en 1936 par Raïs Belaïd le sublime (décédé en 1945, il avait prévu, dit-on, le séisme d’Agadir). Parti en bateau pour la France, le Raïs fut accueilli à Paris par les Marocains de là-bas :

Certains sont partis en Tunisie,
D’autres à Saint-Étienne,
Et d’autres encore à Paris.
Celui qui émigre pour sauver les siens,
La loi religieuse ne le condamne point.


Il loue l’aide qu’ils apportent à leurs familles restées au pays et les sacrifices qu’ils consentent pour les leurs, allant même jusqu’à s’endetter :

J’ai erré dans le Souss, au pays hahî,
Et dans les hameaux les plus reculés,
Je peux en témoigner :
Même les cimetières,
Ce sont les émigrés de France,
Qui les ont aménagés.
Par leur argent,
Ils ont réparé les coupoles des marabouts.
Par leur argent,
Ils ont entretenu les mosquées.
Beaucoup d’endroits n’ont été sauvés,
Que grâce aux mandats qui viennent de Paris.

 

Les chants des troubadours du Souss conservent la mémoire de l’émigration. Le travailleur émigré, voyageur professionnel par excellence, est hanté par la nostalgie ; sa poésie est le cri de l’arbre sans racines. En quête de cette mémoire, nous avons suivi l’itinéraire de Mokhtar Soussi qui, jadis, sillonnait sa région natale à la recherche de vieux manuscrits. Surtout, nous avons marché dans les pas du Raïs el Hâjj Belaïd, le poète sublime des vallées et des montagnes, l’Andam Adrar qui composa en 1936 l’un des plus vieux poèmes de tradition orale sur la migration vers le Nord.

Ces hommes qui partent travailler dans les mines et les usines laissent derrière eux femmes, enfants et tribu. C’est pourquoi le thème de la séparation revient comme une lancinante litanie chez la plupart des Raïs du Souss qui chantent l’émigration.
Dans le poème "Je ne te pardonne pas Paris", feu le Raïs Mohamed Damsiri (décédé en novembre 1989) s’identifie aux femmes du Souss qui voient leur mari partir à l’étranger et comparent l’avion qui l’emporte à un cercueil :

Je ne te pardonne pas, Paris
Je ne te pardonne pas, Nord
Je ne te pardonne pas, Belgique
Vous nous avez pris les nôtres.
Ô téléphone, réponds-moi !
Je n’ai pas besoin de cadeaux,
La présence du bien-aimé est plus précieuse.
Je ne te pardonne pas, avion
Semblable au cercueil,
Tu emportes sans retour.
Que Dieu bénisse les Chleuhs
Qui travaillent dans les mines et les usines.
J’implore Dieu de nous les faire revenir.
Car les blessures de la séparation,
Rendent notre langue muette.

 

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Rais Bihti

 

Dans les campagnes du Souss il n’y a plus que des femmes, des vieillards et des enfants ; le Raïs Bihti, qui lui-même travaille chez Citroën (il est à trois années de retraite), vient pendant les vacances animer les soirées musicales dans le Souss. Militant du regroupement familial, il a bouleversé la communauté des immigrés, surtout à Aglou et aux environs de Tiznit, à telle enseigne que la plupart d’entre eux ont décidé d’emmener leurs épouses avec eux à l’étranger.
Il a, nous dit-on, ému jusqu’aux larmes la moitié des femmes d’Aglou, lors d’une soirée mémorable. Le Raïs Bihti les chante, les comparant métaphoriquement tantôt à une plante fragile qui réclame des soins, tantôt à la terre assoiffée ; il plaint les émigrés d’avoir failli à leur devoir conjugal :

Les biens de ce bas-monde,
M’ont perdu moi-même
Quand je joue du Ribab,
Mon esprit erre autour de la banque,
Et se demande combien d’argent elle contient ?
Que peuvent pour nous, qui partons, les poèmes ?
Nous avons laissé la terre couverte de fleurs,
Mais personne n’est resté pour les arroser.


Depuis lors, certains à Aglou ont choisi de faire venir leur famille en France, d’autres ont rejoint la leur au Maroc. En Occident « la figue de barbarie pourrit au bord des routes » chante Mohamed Damciri, pour qui l’exil est le symbole même de l’impureté :

Ô vent d’Est, ô vent d’Ouest,
Portez le salut à mes frères de l’étranger,
Ils vivent au pays perdu par les hyènes.
J’ai oublié Barbès et Pigalle.
Celui qui les visite restera impur,
Même s’il fait sa prière sur l’eau.

 

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Rais Amerrakchi

 

Dans un autre poème le Raïs Bihti évoque une voiture qui vient le chercher :

Quand le chauffeur m’a dit :
« Viens ô Raïs, ton mois de congé est terminé ».
Ma gorge s’est nouée,
C’est souvent ce qui nous arrive, ô mes chers immigrés !


Lui en parle, parce que sa poésie s’impatiente, mais les autres préfèrent s’enfermer dans le silence à force d’absence.

 

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Note sur Mohamed El Mokhtar Soussi

 

Né en 1900 au coeur du Sous, plus précisement à Dougadir, village de la vallée d’Igli de l’Anti-Atlas, au sud de Tafraout.

A partir de l’âge de 11 ans, iI a d’abord poursuivi ses études dans les medersas traditionnelles de Sous.

1911-1918, il étudie successivement dans les medersa suivantes de Sous : Illigh à Tazerwalt ; Ighchan au sud de Tafraout ; Bounaâman dans la tribu Aït Jerrar ; Tankourt, dans l’Ifran de l’Anti-Atlas.

1919, il rejoint l’université Ben Youssef de Marrakech.

1925, il rencontre le salifia Abi Chouâïb Doukkali.

1925-1928 : études à l’université Karaouiyine de Fès.

1928, il séjourne à Rabat durant un an.

1929, il repart vers Marrakech.

1929-1935 : il enseigne dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1937 : il enseigne à l’Université Ben Youssef de Marrakech.

1937-1945 : il est assigné à résidence à Dougadir, par le Protectorat.

1946-1951 : il enseigne à la medersa-université Ben Youssef et dans la zaouïa de son père à Bab Doukkala.

1952-1954 : il est emprisonné dans les lointaines montagnes arides d’Aghbalou N’ kardous (province de Rachidia) en compagnie, entre autres, de Mehdi Ben Berka et de Mohamed El Fassi.

1956 : Il est nommé ministre des Affaires religieuses du Maroc indépendant.

1960-1963 : Il commence à publier ses ouvrages.

1963 : Il décède dans un accident de la circulation.

 

Mohamed Mokhtar Soussi nous a laissé une abondante littérature sur le Sous, qui est publiée en partie mais qui reste à l’état de manuscrits en une autre. C’est une véritable mine de connaissances ethnographiques sur le Sous, la Maison d’Illigh, les anciennes medersa et bibliothèques ainsi que leur trésor de manuscrits. Cependant ses ouvrages n’ont jamais été traduits en Français. Les richissimes commerçants  de Sous sont très fiers d’El Mokhtar Soussi, mais ils sont incapables d’investir un centime dans la culture et encore moins dans la production d’ouvrages sur leur région. Parmi les ouvrages les plus connu d’El Mokhtar Sousi (ils sont disponibles uniquement en Arabe), on peut citer :

« Al maâsoul », paru en 20 tomes, entre 1960 et 1963.

« Sous Al – Âlima », publié en 1960 puis réédité.

« Min Afouah Rijal », en 10 tomes, Tétouan 1962.

Illigh qadiman wa haditan. Rabat, 1966.

Mouâtaqal Asahra. (Première partie), Rabat 1982.La deuxième partie est encore à l’état de manuscrit.

Madaris Sous Al Âtiqa, nidamouha wa Asatidatouha, Tanger, 1987.

Rijalat al îlm al ârabi fi Sous, Tanger, 1989.